Chimie

"Portrait d'Antoine-Laurent LAVOISIER et sa femme" par Jacques-Louis DAVID, 1788

Présentation

Date :

 1788

Nature :

Peinture à l’huile, sur toile 260 × 195 cm (exposé actuellement au Metropolitan Museum de New York).

Mouvement artistique :

Néoclassicisme, c’est-à-dire un retour à la précision figurative et le moindre rôle des couleurs, des œuvres consensuelles et académiques évoquant souvent les mythes de l’Antiquité gréco-romaine.

Le serment des Horaces, 1784

 

Par Jacques-Louis DAVID

 

 

Tableau

Genre :

Portrait

Composition :

Un sourire léger dessiné sur ses lèvres, une femme se tient, debout, au centre d’un élégant salon aux murs de marbre ; penchée avec familiarité sur un homme dont elle attire le regard, elle toise quant à elle, avec une étonnante douceur, un spectateur extérieur. Il s’agit de Marie-Anne LAVOISIER et son époux Antoine-Laurent, illustre chimiste français qui rédige un compte-rendu d’expériences. Sur le fauteuil à gauche, un carton à dessin et, face au mari, une table comportant différents matériels de chimiste (gazomètre, baromètre) posés sur une nappe rouge écarlate. Au sol un ballon de verre pour peser les gaz.   Sur cette toile, le peintre semble avoir saisi le couple lors d’une activité quotidienne.

Couleurs :

La blancheur de la robe de Madame qui s’accordent à l’élégance des couleurs froides du marbre ou du bleu de la ceinture, s’avère toutefois adoucie par les tons rouges et bruns de la nappe, du parquet ou encore les dorures lumineuses des instruments scientifiques

Analyse

Un portrait intime et moderne :

David réalise un portrait moderne et intime 

On dirait une scène de leur quotidien : main nonchalante de Madame et le regard attendri de son mari, interrompu dans ses activités. Cela donne l’impression de les surprendre dans leur intimité, comme une photographie prise sur le vif (attention la photographie n’existe pas encore, elle apparait à partir de 1830). Cette intimité est rare : Les portraits de l’époque ne montraient pas en outre des corps si proches, des corps qui se frôlent.

David met en scène un portrait moderne et intime 

Ne soyons pas dupe, les époux LAVOISIER ont dû tenir la pose durant de longues minutes, peut-être même des heures. Une pose particulière et peu naturelle car leurs corps sont en torsion : le buste de Madame est dirigé vers la droite alors que son visage est tourné vers l’artiste ou vers le spectateur. Le corps de Monsieur est face à la table mais son visage est orienté vers Madame. En plus, cette mise en scène est accompagnée d’accessoires choisis, un carton à dessin, une nappe rouge écarlate  incongrue dans un laboratoire mais qui met en relief les ustensiles de chimie par la précision des détails; autant d’éléments de mise en scène ou de symboles que choisit le peintre (ou les LAVOISIER)  pour nous en dire plus …

Les symboles :

Les chimistes font donc des expériences

Avant les LAVOISIER,  l’étude de la matière et de ses transformations reposait sur l’Alchimie et la théorie des quatre éléments :

Qu’est-ce que la théorie des 4 éléments ? Depuis l’antiquité, on pensait que la matière était la combinaison de quatre éléments fondamentaux : le Feu, l’Air, L’Eau et la Terre. Les alchimistes utilisaient cette théorie fausse pour justifier la possibilité de transformer le plomb en or, ou créer un antidote universel guérissant toutes les maladies.

Les alchimistes ne pratiquaient pas d’expériences pour savoir si les hypothèses de cette théorie étaient vraies.

Pour Eux, cela étaient vrai, point final !

A l’inverse des alchimistes, les LAVOISIER réalisent des expériences ; ainsi ils montrent que les gaz ont une masse et découvrent que l’air n’est pas un élément, car il est un mélange de 21% de dioxygène et de 78% de diazote. De même, ils découvrent que l’eau est décomposable par réaction chimique en éléments plus simples : l’oxygène et l’hydrogène. Ainsi Les LAVOISIER comprennent que l’Air, l’Eau, le Feu et La Terre n’ont rien d’élémentaire.

Les LAVOISIER vont plus loin en proposant une méthode pour trouver les véritables éléments de la matière. D’ailleurs, pour eux, ces éléments sont l’oxygène, l’hydrogène, le fer, le soufre, le carbone, le cuivre, le zinc,…

La nappe écarlate, et les instruments précisément détaillés (jusqu’au reflet sur le mercure du gazomètre) mettent ici en avant que les LAVOISIER sont des chimistes porteurs de nouvelles idées et nouvelles méthodes mais des chimistes qui prouvent leurs idées par des expériences précises et judicieuses. Les LAVOISIER sont les fondateurs de la chimie moderne que nous utilisons actuellement.

Madame Lavoisier est donc une collaboratrice 

Le carton à dessin est ici pour rappeler que Madame LAVOISIER a participé aux recherches de son mari en illustrant ses ouvrages (schémas d’expériences). D’ailleurs, Madame était une élève de Jacques-Louis DAVID.

Mais ce n’est pas sa seule contribution à la science : elle traduisait les textes de savants anglais. Elle organisait aussi des séances d’expériences chez eux afin de faire connaître les travaux de son époux aux intellectuels de l’époque. Intéressée par la chimie naissante, elle argumentait volontiers avec d’autres savants lors de ces réunions. Marie-Anne LAVOISIER était une collaboratrice polyvalente et compétente en chimie. 

Un couple bourgeois lié par le travail et les sentiments

Les LAVOISIER forment donc un couple de scientifiques, riches comme le montrent les murs en marbre et la grande hauteur sous plafond de leur logement. L’enrichissement des LAVOISIER repose sur l’autre profession de M. LAVOISIER : fermier général. Un Fermier général était chargé de collecter les impôts pour le Roi de France. C’était un poste très impopulaire mais qui a permis aux LAVOISIER d’avoir les instruments de chimie les plus précis de l’époque et ainsi de trouver que l’air a une masse (pour rappel, 1 litre d’air à 20°C pèse 1,3 g).

C’est un couple riche qui travaille beaucoup donc mais c’est aussi un couple lié par les sentiments qu’ils portaient l’un envers l’autre comme le montre la proximité exprimée dans ce portrait et le regard de M. LAVOISIER pour sa femme.

C’est un couple aussi lié par le travail intellectuel qu’ils étaient en train de réaliser, un travail qui allait changer de manière prodigieuse la société. Leurs vies aussi allaient changer complétement. Ils resteront liés malgré la mort de Monsieur puisque Madame LAVOISIER poursuivra son œuvre en diffusant ses idées…

Mais ceci, aucun d’entre eux ni même l’artiste ne le sait encore.

A posteriori, ce portrait présente un seuil 

Seuil historique :

L’œuvre est réalisée un an avant le déclenchement de la Révolution Française (Prise de la prison de la Bastille le 14 juillet 1789). Le quotidien apaisé de ce couple tel qu’il est montré dans ce portrait change radicalement durant la Révolution :

·         Dans un premier temps, Lavoisier participe à la création du système métrique, ancêtre du système international des unités ;

·         Dans un second temps, lors de la Terreur, Lavoisier est accusé d’être un ennemi de la révolution, à cause de son ancien emploi de fermier général. Il est guillotiné le 8 mai 1794.

Jacques-Louis DAVID est un témoin du cours de l’histoire : du portrait des LAVOISIER au seuil de la Révolution, jusqu’au sacre de Napoléon, en passant par l’assassinat de Marat, au plus fort de la Révolution Française. Il fuit la France en 1815, au moment de la Restauration et décède à Bruxelles en 1825.

 L’artiste et le couple LAVOISIER immortalisés dans la quiétude de leur quotidien ne le savent pas encore : ils sont sur le seuil d’un bouleversement historique sans précèdent.

Dessin pour la peinture inachevée du Serment du jeu de Paume, 1791

 

Première période de la Révolution Française, L’œuvre consacre la constitution d’une assemblée représentative

Tableau

Marat assassiné, 1793

 

Marat est un acteur important de la Terreur, il devient l’image du Martyr révolutionnaire, qui paie ses idées de sa vie.

Tableau

Bonaparte franchissant le Grand-Saint-Bernard, 1800

 

 

Le consul Bonaparte remporte d’importantes batailles, son image d’homme fort se construit.

Tableau

Le sacre de Napoléon, 1808

 

 

Napoléon devient le premier empereur des Français.

Tableau

Seuil scientifique :

                Si Jacques-Louis DAVID met en avant les caractéristiques d’un nouveau type de chimie basée sur les expériences et non sur les théories farfelues non démontrées de l’Alchimie et de la théorie des Quatre éléments, il ne sait pas pour autant que la société est en 1788 au seuil d’un prodigieux bouleversement par la science moderne, et notamment par la chimie de LAVOISIER :

Lavoisier ne le saura jamais mais ses travaux permettent la construction de la  chimie moderne basée sur des expériences vérifiables et dont les résultats sont étudiés et pouvant être comparés grâce à un système d’unités cohérentes et simples :

·         « Rien ne se perd. Rien ne se crée. Tout se transforme ». Dans cette phrase, Lavoisier exprime la conservation de la masse lors des combustions dans son traité de chimie élémentaire paru en 1789. Après sa mort, sa femme n’a plus d’argent, tous leurs biens étant confisqués par le tribunal révolutionnaire. Cependant, elle se bat pour récupérer leur matériel de chimie, publie les cahiers de laboratoire qui démontre les principes de la chimie moderne et les diffuse. Elle avait raison de poursuivre cette œuvre pour le bien de l’Humanité…

·         C'est en Angleterre, que John Dalton en 1804 inspiré par les travaux des LAVOISIER publie sa théorie des atomes: pour lui la matière était faite de particules très petites, ce qu'on appelle plus tard les molécules. Il pense aussi que les réactions chimiques ne font pas davantage que séparer ou réunir les particules élémentaires dont sont faites les molécules. Les molécules sont donc, pour lui, constituées d'atomes qui se recombinent en molécules différentes  lors des réactions et c’est pour cela que « Rien ne se perd, Rien ne se crée, Tout se transforme ». Les atomes sont les nouveaux éléments décrits par  les LAVOISIER : l’atome d’oxygène, d’hydrogène, de fer, de carbone,… ;

·         En 1811, les études sur l'électrolyse de l'eau réalisé par le britannique Davy  grâce à la pile de VOLTA montrent que la molécule d'eau est faite de « deux parts d'hydrogène et d'une part d'oxygène ». L'italien Amedeo Avogadro précise son idée en énonçant que la molécule d'eau «était faite de 2 atomes d'hydrogène et d'un atome d'oxygène ». Puis le chimiste suédois Jön Berzelius  symbolise les atomes par la (ou les) première(s) lettre(s) de leurs noms. Ainsi H représente un atome d'hydrogène, O un atome d'oxygène, Zn un atome de zinc,... Quelques années plus tard, la molécule d'eau est représentée par la formule chimique H2O, formule chimique célèbre dont la mise au point est permise grâce aux travaux des LAVOISIER;

·         En 1828, Wöhler, synthétise l’urée à partir de substances minérales. Cette expérience provoque une petite révolution. Elle apporte en effet la preuve qu’il est possible de synthétiser un composé organique en dehors d'un organisme vivant. Elle marque ainsi le début de la chimie organique ; Wöhler découvre également en utilisant les techniques des LAVOISIERS un nouvel élément, un métal qu’il baptise aluminium.

·         C’est aussi en 1828, que le lyonnais  Guimet synthétise le bleu outremer de manière artificielle (le bleu outremer naturel coutait entre 100 et 2500 fois plus cher) ;

·         En 1869, Mendeleïev publie la première classification des nouveaux éléments (66 atomes à l’époque contre une centaine en 2015) de la chimie, et les deux dernières décennies du XIXe siècle apportent à la société,  les premiers médicaments, comme l’aspirine, et les premières matières plastiques artificielles…

Est-ce que l’œuvre présente un seuil pour la condition des femmes dans la société ?

Prenons un exemple pour comprendre la condition des femmes au XVIII siècle :

Emilie du CHATELET : mathématicienne et physicienne française du début du XVIII° siècle, ayant vécu un demi-siècle avant les LAVOISIER. Elle converse volontiers avec les philosophes des Lumières et tout particulièrement avec VOLTAIRE. Cela ne pose aucun problème … sauf pour les femmes de l’époque, plus rarement pour les hommes :

« Représentez-vous une femme grande et sèche, le teint échauffé, le visage maigre, le nez pointu, de petits yeux vert de mer, sans hanches, la poitrine étroite, de gros bras, de grosses jambes, des pieds énormes. Le rire glapissant, la bouche plate, les dents clairsemées et extrêmement gâtées. Comme elle veut être belle en dépit de la nature, et qu'elle veut être magnifique en dépit de la fortune, elle est obligée, pour se donner le superflu, de se priver de bien du nécessaire, tels que chemises, mouchoirs. […] On dit qu'elle étudie la géométrie pour parvenir à entendre ses livres. La science est un problème difficile à résoudre : elle en parle comme Sganarelle parlait latin devant ceux qui ne le savaient pas…» Écrit par la marquise du DEFFAND.

« Il faut espérer que c'est là le dernier air que Madame du Châtelet se donnera ; mourir en couche à son âge, c'est décidément prétendre ne rien faire comme les autres… » Par Charles COLLE, à propos de la mort d’Emilie du CHATELET

Les autres femmes sont peut-être jalouses de Mme du CHATELET mais elles trouvent qu’Emilie du CHATELET n’est pas dans la NORME. Une femme ne doit pas parler de sciences, de mathématiques, ce n’est pas normal pour les autres femmes de l’époque. Mme LAVOISIER le sait très bien et évite d’inviter des femmes lors des réunions de chimistes qu’elle organise. Elle reste discrète pour poursuivre sereinement ses expériences…

Malheureusement la condition des femmes ne changera pas après 1788, et ce tableau ne correspond pas à un seuil dans ce domaine. La richesse des LAVOISIER permet toutefois à Madame d’avoir le privilège d’être soi-même, c’est-à-dire la chance de pouvoir pratiquer la chimie avec un mari aimant et complice. Marie-Anne PAULZE est alors âgée de 13 ans lorsqu’elle doit se marier avec un grand oncle de 50 ans. Mais elle convainc son père de la marier avec Antoine-Laurent LAVOISIER, déjà chimiste reconnu. Son intérêt pour les sciences continue après la mort de son mari car elle épouse en 1804 un savant américain qui meurt 10 ans plus tard. Elle-même s’éteint en 1836.

Complément : la biographie de Marie SKLODOWSKA CURIE